Blackface Banjo by Frantz Duchazeau éditions Sarbacane
Où est-ce que je vais bien pouvoir caser cette rubrique?
Voilà la question qui m'a tarabusté quand j'ai aperçu la magnifique couverture de ce livre: dans la rubrique "blackface" ou dans la "banjo"?
une gamberge rendue inutile après la lecture de cet ouvrage à couverture cartonnée, fond rouge liseré de noir pour une bouille de nègre à chapeau haut-de-forme.
Frantz Duchazeau nous entraîne dans le monde des ménestrels blackface version cheap, les "medicine shows". Le jeune Blackface, orphelin à la jambe de bois, se fait embaucher dans un spectacle itinérant par un irlandais qui vend des potions magiques, en fait de l'eau avec "un dé à coudre de pisse d'opossum pour le goût".
Quand un soir de déprime d'après spectacle, Blackface, qui ne boit "que du bourbon, jamais d'eau", jette son dévolu sur la mixture vendue aux gogos, l'effet produit le fait devenir un Jimi Hendrix du banjo, lui qui n'avait jamais touché cet instrument auparavant.
Normalement, vu le départ super merdique dans la vie de Blackface, la logique de balancier voudrait qu'il s'en sorte, qu'il devienne célèbre, qu'il monte dans le "Nord" à New-York pour enfin être reconnu pour son talent de banjoïste fou et qu'il se lie d'amour avec la petite jeunette qu'il rencontre au début.
Rêvez pas; depuis le début on baigne dans la peur, la défiance et cette atmosphère nauséabonde, celle de la ségrégation, du racisme mis en scène par des descentes du "Coon Coon Clan"; le terme "coon", diminutif de "racoon" qui signifie raton-laveur est typique de l'argot du Sud pour désigner péjorativement les noirs alors que "nigger" est employé sur l'ensemble du territoire américain.
On sent que Frantz Duchazeau a potassé son sujet, le connaît en s'amuse en glissant quelques références sur les blackface, notamment dans le prologue où deux blackface font leur numéro sous le nom de "George et Emmett" allusion subtile aux Georgia Minstrels, premier groupe noir de blackface, ainsi qu'à Daniel Decatur Emmett des Virginia Minstrels.
Le dessin est très simple, presque naïf, un noir et blanc à gros traits dans la veine de Herriman (Krazy Kat) ou des "Katzenjammer Kids" de Knerr et Dircks.
140 pages d'une histoire impeccable sans super-héros, sans trolls et sans anneaux, une petite histoire qui fait néanmoins partie de la grande, celle de l'humanité qui bafouille encore sérieusement quand on évoque la "différence". Et ce n'est pas un hasard si la troupe de l' "Elixir Show" est dirigée par un irlandais qui exploite un Indien et un black.
Allez! Ce bouquin est tout à fait nickel et comme idée de cadeau ça vous changera de Taniguchi (quoique les dernières sorties de Jiro soient excellentes, comme d'habitude).