dimanche 29 août 2010

Vaudeville

Le mot vaudeville doit son origine à un petit coin de Basse-Normandie, le Val de Vire ou Vau de Vire selon la prononciation d'antan. La ville de Vire, célèbre pour son andouillette, se situe dans le Calvados; la rivière Vire se jette dans la Manche à hauteur d'Isigny sur Mer.


C'est à Olivier Basselin qu'on attribue la création du terme qui au départ concernait des chansons populaires à boire, légères et même souvent salaces; Basselin, originaire du coin, et dont la date de naissance et de décès est fluctuante selon les sources, vivait au XVème siècle. Une autre explication qui peut d'ailleurs rejoindre la première citée plus haut nous dit que les "voix des villes", recueils de chansons populaires, auraient pu se muer, toujours sous la plume de Basselin en vaudeville.


A la fin du XVIIème siècle ces airs populaires dont les paroles sont adaptées, modifiées selon l'histoire et l'endroit, viennent s'insérer dans des trames théâtrales. C'est alors avec des auteurs comme D'Orgeval, Lesage ou encore Fuzelier que cette forme de spectacle va virer vers un proto-opéra comique.


Le vaudeville français connait une éclipse fin XVIIIème, concurrencé par l'opéra comique plus noble pour revenir sous la Révolution avec la création en 1792 du Théâtre du Vaudeville.


A ce point, la musique n'occupe plus qu'une légère partie du spectacle: couplets chantés comme respiration du texte, support d'interlude ou entracte. Les pièces sont néanmoins toujours entrecoupées de passages musicaux jusque vers 1860 et la disparition des couplets chantés.


Des auteurs créent des stéréotypes des personnages récurrents (Mme Angot, Mr Dumollet...) et le succès public et populaire fera du vaudeville un genre très prisé sous le Premier Empire puis sous la Restauration. Augustin Eugène Scribe est l'auteur le plus en vogue à cette époque, n'écrivant pas pour autant que des vaudevilles.


On arrive à l'âge d'or du vaudeville français avec tout d'abord Eugène Labiche qui dans sa pièce "Un chapeau de paille d'Italie" accélère le tempo, grossit les situations comiques, les quiproquos (répétitions, méprises...). Eugene Hennequin et surtout Georges Feydeau donneront, avec Labiche, ses lettres de noblesses au genre en formatant les pièces en 3 actes. C'est la forme de vaudeville encore connue et jouée aujourd'hui bien que l'appellation ait été changée en théâtre de boulevard, genre qui allait prendre le pas sur le vaudeville faute d'auteurs aussi talentueux que Feydeau après sa mort.

Si, de fait, le fond et la forme ne changent pas vraiment, la mue du vaudeville en théâtre de boulevard est due, pour partie, à la localisation géographique des salles de théâtre parisiennes situées en majorité sur les grands boulevards parisiens.

L'influence du vaudeville conjuguée aux Singspiele autrichiens permettra la naissance du genre au Danemark avec le travail du comédien Overkou et de l'universitaire philosophe hégelien J.L. Heiberg qui dans la première moitié du XIXème siècle adapteront des pièces françaises ou autrichiennes (ils écrivent quelques essais sur le genre ainsi que des pièces originales).

Plus haut dans le nord de l'Europe, le genre essaime grace à August Blanche en Suède. De jeunes auteurs norvégiens tels que Ibsen ou Bergen s'intéressent également au vaudeville en étudiant de près la production de Scribe.

De l'autre côté de l'Atlantique, en Amérique du nord, le vaudeville américain va se développer à partir des années 1820-1830, surtout aux confins de la civilisation dans les petites villes du Sud ainsi que vers l'ouest "sauvage".

Non structuré, mélangeant le cirque (acrobaties, clowns, jongleurs...), le théâtre populaire (chants et danses) ainsi que le théâtre "classique" (passages de pièces de Shakespeare ) ce nouveau type de spectacle est une alternative à ceux trop guindés, réservés à l'élite, et aux ménestrels blackface sujets à controverse (voir ménestrel dans ce blog).

En 1865 le New York City Opera House ouvre ses portes et propose du vaudeville sans toutefois utiliser l'appellation qui sera adoptée par Mr Sargent en 1871 pour son spectacle Sargent's Great Vaudeville Company. En effet ce terme sous-tend moeurs légères, exotisme et raffinement. Un ancien Mr Loyal du cirque américain, Tony Pastor, devient en 1885 manager du N.Y. Opera House et programme des spectacles familiaux pour les classes moyennes. Exit les thèmes raciaux propre au blackface et bienvenue aux considérations qui "parlent" au public telles que l'antagonisme entre urbains et ruraux, entre américains de souches et immigrants; l'irlandais remplace le noir comme sujet mal dégrossi, idiot, à l'accent prononcé.

Mais ces spectacles sont néanmoins très rigoureux en matière de moeurs: sans érotisme appuyé, langage châtié et interdiction de vente d'alcool dans le théâtre. Plusieurs imitateurs profiteront du succès immédiat de Pastor, aidés en cela par le soutien des Eglises et ligues de vertu qui avaient attaqués les ménestrels blackface avec force depuis leur émergence.

Dans la dernière décennie du XIXème siècle les théâtres fixes et itinérants se comptent par centaines et programment ce qui est devenu un terme générique: le vaudeville. Benjamin Franklin Keith ouvre le théatre Bijou à Boston et impose ce qui sera la "norme" pour bon nombre d'édifices ultérieurs avec des protections anti-incendies, des décors somptueux copiés sur les palais royaux européens avec tapis de luxe, matériaux nobles tels le stuc et le marbre, escaliers majestueux. L'association de Keith avec Edward Albee se révèle si fructueuse qu'en 1914 il est l'un de ceux qu'il faut connaitre dans le mileu artistique pour espérer travailler. On recense 25000 artistes ou musiciens professionnels travaillant en moyenne 45 semaines par an. Et non content de vendre, d'organiser des spectacles et de gérer la carrière des artistes (il a fondé l'United Booking Artists) Keith crée également le merchandising artistique avec des boutiques dans les théâtres, vendant programmes, partitions, photos d'artistes, reproductions de bijoux portés par les actrices, cartes postales, papier et enveloppes à en-tête du théâtre...

Le vaudeville américain déclinera avec l'arrivée du cinéma même si dans les premiers temps des films sont tournés en studio reprenant décors, trame et déroulement du vaudeville. Projetés dans les salles de cinéma, ils ont pour vocation d'attirer le spectateur vers le vrai vaudeville. Mais le cinéma s'inspirera longtemps de ce qui avait fait le succès du vaudeville à travers ses comédies, ses drames et ses westerns.


"Il me souvient d'avoir joué dans un cinéma-théâtre de la banlieue de Jacksonville (Floride). C'était une salle en longueur, sombre et étroite, remplie de chaises pliantes caca d'oie... Ce n'était pas une vraie salle de spectacle mais un ancien magasin de meubles... Naturellement, pas de scène. Il y avait toutefois une longue plate-forme étroite, pas plus large qu'un échafaudage de peintre en bâtiment... Si le show comprenait des ballets, des acrobaties ou quoique ce soit de dangereux, il y avait un bref entracte pour permettre aux éxécutants de travailler sur le plancher de la salle... Le programme se constituait de quatre parties... mais en réalité il n'y en avait que deux. Le taulier gonflait le programme en comptant pour une partie le piano mécanique et pour une autre la projection d'un vieux bout de film, le plus rayé et le plus sautillant qui ait jamais esquinté la vue de tout un public. Les représentations avaient lieu toutes les heures à partir de midi, et jusqu'à minuit si la recette l'exigeait."


Groucho Marx

"Groucho Marx and Other Short Stories and Tall Tales"

"Crises et Grouchotements" éditions Point Virgule

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