jeudi 16 juillet 2015

ENTRACTE - DEON MEYER

ENTRACTE

Dans le roman "Lemmer l'invisible", Deon Meyer délaisse les personnages "récurrents" qu'il utilise dans ses quatre premiers livres, en majorité issus de la Brigade des Vols et Homicides du Cap.

La page de remerciements en fin de bouquin nous apprend que l'auteur l'a écrit pour apporter un écho et rendre hommage au travail des protecteurs de la nature et des animaux, en particulier ceux qui oeuvrent pour la rééducation des animaux blessés par le braconnage, fléau endémique entretenu par le trafic d'ivoire, d'animaux vivants ou morts.

Pendant qu'il écrivait "Le pic du diable", Meyer a fait plusieurs randonnées à moto dans la province du Limpopo située au nord-est du pays, une région frontalière avec le Mozambique, le Zimbabwe et le Botswana. La moto, une BMW R1150 GS, est abondamment mise en avant dans "L'âme du chasseur" lors de la cavale de Thobela Mpayipheli.

C'est à l'occasion de ces voyages qu'il visite un centre de rééducation pour oiseaux rapaces. Les nombreuses pages consacrées à la défense des animaux, au statut des parcs animaliers sont très documentées et extrêmement précises. Meyer a voulu ainsi mettre en avant le travail, le dévouement et l'abnégation de ceux qui s'impliquent corps et âme pour cette cause. 

Jusqu'alors, il nous avait baladé durant les quatre premiers romans. En effet, le protagoniste principal, le "héros" auquel le lecteur pourrait s'identifier, se reconnaître, celui qui tour à tour subit ou mène l'histoire change d'un roman à l'autre.

Dans "Jusqu'au Dernier" c'est Mat Joubert qui tire l'histoire. Son prénom est orthographié ainsi dans ce livre mais se voit ajouter un deuxième t dès les suivants, jouant sur l'ambiguïté entre le diminutif supposé de Matthew et la signification exacte du "prénom" Mat. Dans le roman suivant, il n'est plus qu'un second rôle, important tout de même mais éclipsé par Zatopek van Heerden dans "Les Soldats de l'Aube". Joubert, promu chef, est encore présent dans "Le pic du Diable", peut-être pour "lancer" la carrière de Benny Griessel, déjà présent comme second rôle dans le premier bouquin de Deon Meyer (vous me suivez toujours?).

Zatopek van Heerden, héros du deuxième roman, apparaît encore un peu dans le suivant, "L'âme du Chasseur", en tant que consultant en criminologie. Il introduit, contraint et forcé par les évènements, le garde du corps Thobela Mpayipheli qui sera le personnage principal du troisième ainsi que l'un des trois protagonistes du quatrième, "Le Pic du Diable". 

Benny Griessel, second rôle dans "Jusqu'au Dernier", partage les feux de la rampe avec Thobela Et Christine van Rooyen dans "Le Pic du Diable". Le traitement du personnage, son développement, indiquent que l'auteur, après avoir testé plusieurs personnages semble avoir jeté son dévolu sur lui (oui! bon! c'est l'idée mais peut-être faussée par le fait que la bibliographie postérieure consacre Griessel comme "flic" de Deon Meyer!).

D'autres protagonistes reviennent comme seconds rôles, dans l'entourage professionnel principalement mais aussi privé du personnage principal (surtout Griessel).
Les patrons successifs de la brigade criminelle font évidemment partie de cette nébuleuse: Willie Theal fait figure de mentor, de régulateur mais n'est évoqué qu'au passé car le premier roman débute par la prise de fonction de son successeur Bart de Wit qui comme son nom ne l'indique pas est noir.
Il reste en fonction pendant les trois premiers bouquins avant de céder sa place à Mat Joubert dans "Le Pic du Diable".

Dans une enquête pour meurtre, il y a le passage obligé par la morgue. Si certains auteurs s'en tiennent à la lecture d'un rapport médico-légal lu par un personnage pour mettre un autre au courant, Deon Meyer personnalise le médecin-légiste en chef Philip Pagel qui, en plus d'être le type le plus intelligent et le plus cultivé, se lie d'amitié avec les anciens que sont Joubert et Griessel (surtout lui!).

"Les Soldats de l'Aube" raconte l'apprentissage du boulot d'inspecteur à la criminelle de Van Heerden par Willem Nagel, un flic à l'ancienne, préférant l'intuition aux techniques modernes, retors, mal-aimé mais respecté pour son taux record de résolutions d'enquêtes criminelles. Dans ce même livre, l'avocat Kemp aide Van Heerden à sortir de cellule de dégrisement. Il est à nouveau cité dans le cinquième roman "Lemmer l'Invisible" mais sans que l'on apprenne quel est son prénom avant "A la Trace" (ou alors j'ai loupé quelque chose mais de toute façon ce n'est pas très important).

Orlando Arendse, caïd de la drogue et autres trafics, apparaît dans "Les Soldats de l'Aube" pour filer un coup de main à Van Heerden en lui louant les services de ses hommes de main comme gardes du corps. Thobela Mpayipheli aura plus tard besoin d'un petit service de la part d'Orlando dans "L'âme du Chasseur" mais son influence dans le crime organisé a décliné. C'est à la retraite, peinard, qu'Orlando revient dans "Le Pic du Diable".

Comme pour Kemp jusqu'à "A la Trace", pas de prénom pour Doc Barkhuisen. Ce n'est pas vraiment un mentor pour Benny Griessel à l'instar de Willem Nagel pour Van Heerden mais plutôt un parrain, bien que l'acceptation implicite de ce rôle par l'un et l'autre se fasse en dehors du tralala habituel propre aux Alcooliques Anonymes.

"Lemmer l'Invisible" pourrait être considéré comme un roman de transition mais la force du récit et l'épaisseur du personnage Martin Fitzroy Lemmer en font un bouquin aussi prenant que les précédents. On se prend à penser que Meyer, malgré ses flics très borderline, parfois outerline, ai eu envie de délaisser l'angle police officielle et de s'attaquer à un "héros" encore plus marqué par la vie que ses flics (enfance cahotique et violente, meurtre d'un homme, prison).

Il est notable que dans les premiers romans, l'alcoolisme de certains fait partie intégrante de l'histoire alors que Lemmer ne boit pas une goutte d'alcool.
Enfin, et ça ne doit pas être évident, la plupart des personnes intervenant ou subissant l'action sont décrites par leur couleur de peau, du noir au blanc en passant par le métis et le rouge-rosé suite aux coups de soleil! Deon Meyer nous laisse de temps en temps dans l'ignorance, exposant néanmoins fréquemment cette thématique très sensible et excessivement compliquée dans la nouvelle Afrique du Sud (mais pas que là-bas malheureusement!). 


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